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La peur et nos perceptions (1/4)


Dans cet article multidisciplinaire, trois auteurs explorent différentes facettes de la peur, de sa nature psychologique à ses implications philosophiques et théologiques. Nathalie Wienin, psychologue du travail, débute en analysant la peur en tant qu'émotion fondamentale, ses manifestations et ses stratégies de gestion. Aude Alexandre, artiste et poétesse, partage ensuite une méditation poétique sur la peur et la reconstruction intérieure. Enfin, Josepha Faber Boitel, en s'appuyant sur les concepts de chronos, kaïros et aion, examine le lien entre notre perception du temps et notre rapport à la peur, offrant des pistes pour surmonter l'angoisse temporelle. Cette exploration multidimensionnelle invite à une réflexion approfondie sur la nature de la peur et ses implications dans nos vies quotidiennes et spirituelles.



1. La peur : éléments d'analyse par Nathalie Wienin (psychologue du travail , transition professionnelle)


Voici pour inaugurer le mois un premier article sur la peur. Pas de philosophie religieuse, ma spécialité est la psychologie. Je vous laisse embrayer sur la place de la peur comme moteur ou garde fou dans la religion... Commençons par un article général.


La peur

Parmi les émotions primaires, Paul Eckman liste la joie, le dégout, la surprise, la colère, la tristesse et la peur. Ce sont des émotions que nous identifions facilement sur les visages humains, quelles que soient leur culture d’origine. La peur est donc une émotion fondamentale, ancienne.


Les émotions nous mettent en mouvement.

Comme toutes les émotions, la peur a une fonction : nous permettre de survivre à un danger, soit en le fuyant, soit en se cachant, soit en l’affrontant. C’est donc avant tout une fonction utile. Selon les circonstances, nous aurons une représentation positive ou négative de cette émotion.


Positive : une peur modérée liée à un contexte maitrisé provoque une poussée d’adrénaline, des battements de cœur élevés, quelques frissons et, après « l’épreuve », l’euphorie d’être vivant. Cette forme de peur est recherchée par ceux qui « ont le gout du risque », qui « recherchent des sensations fortes ».


Négative : si la peur qui dure, ou si elle est trop intense. Elle apparait négative car nous nous sentons incapable de faire face à ce dont elle nous alerte.


Les crises d’angoisses

Lorsque nous sommes inquiets, notre corps va lancer plusieurs processus qui nous préparent à réagir : vigilance accrue, mise à disposition d’énergie, augmentation de l’oxygénation…

La crise d’angoisse est une boucle qui augmente ce processus à chaque tour :

- Un élément imperceptible a activé la peur, sans que l’esprit n’ait clairement identifié la cause.

- L’esprit perçoit les signaux du corps comme étant ceux de la peur. Il en conclut qu’il y a un danger et libère des hormones de préparation à l’action.

- Cela augmente le ressenti du corps

- Et ainsi de suite.

Une façon de stopper les crises d’angoisses, sera donc de concentrer volontairement l’esprit vers un autre stimulus que les sensations de peur du corps. Par exemple, la personne peut se concentrer sur un parfum ou se pincer et se concentrer sur cette sensation précise.


La crainte de ce qui va peut-être arriver

Parfois la peur porte sur des évènements futurs potentiels et il semble alors difficile de profiter du présent. Il est possible de faire face à cette peur en gardant à l’esprit les éléments suivants :

- la peur est utile, elle prépare à agir face à un danger.

- Il faut identifier ce dont on a peur, et préparer nos stratégies et ressources pour agir le temps venu.

- Une fois que l’on a entendu l’alerte « danger » et que l’on a fait tout ce qu’il est possible de faire, la peur devient inutile et même nuisible.

- La persistance du signal danger fait consommer inutilement des ressources à la personne et risque de l’empêcher d’entendre un nouveau signal de danger plus immédiat.

L’ACT (thérapie d’acceptation et d’Engagement) apporte l’idée qu’il ne faut pas lutter contre une émotion (en la repoussant, en l’évitant ou autre), mais se mettre en dialogue avec, en l’imaginant telle un enfant de 5 ans. Dans le cas de cette peur, il va donc falloir lui indiquer qu’on a reçu et compris son signal et l’en remercier. Puis la rassurer en lui expliquant comment on a agi. Enfin, en s’inspirant de l’histoire du garçon qui criait au loup, la convaincre que ce sera plus efficace si elle s’apaise. D’expérience, je vous assure que cette technique fonctionne.


Conclusion

Notre corp et notre esprit sont unis dans un but commun, notre survie. La peur est l’un des outils dont nous disposons pour cela. Depuis la nuit des temps, la peur nous a rendu prévoyant et a participé à notre survie. La peur est donc une émotion à apprécier, mais comme toujours les excès d’une bonne chose peuvent devenir nocifs


L'essentiel à rétenir par J.F.B. : Le texte aborde la nature de la peur en tant qu'émotion fondamentale, expliquant son rôle dans la survie humaine et ses manifestations positives et négatives. Il explore les crises d'angoisse et propose des stratégies pour les gérer, notamment en se concentrant sur d'autres stimuli et en utilisant l'approche de l'ACT. En conclusion, il souligne l'importance de la peur pour la survie tout en mettant en garde contre ses excès.



2. Poème de Aude Alexandre (Artiste et poétesse)


J'ai traversé, mon amour, des contrées entières de moi en train de s'effriter, de s'ébouler.

Comme on remblaie des crevasses, des canyons et des abîmes.

Un goût de tremblement tectonique brutal et inévitable pour reconstruire une géographie neuve.

Et j'ai eu peur...

Tellement peur.

De ces peurs qui figent l'esprit. Qui n'ont pas de mots. Qui existent avant l'invention des mots.

Primitives, archaïques, qui écrasent l'être face à l'immensité de l'indicible.

Et je suis restée là, pantelante. Convaincue que rien ne pouvait arrêter ce processus et que même celui-ci était effroyablement beau et nécessaire.

Alors, je me suis ramassée minuscule et immense. Consciente que j'étais partout en ce phénomène et plus jamais nul part en ses failles.

Je me suis bercée dans mon coeur comme on rassure la nuit l'enfant qui vient de naître et ne comprend rien au monde.

Car il est des lumières qui éblouissent à faire mal.

Mais que si l'on regarde bien....

L'univers tout entier tient dans une cuillère.

Et il ne reste qu'à le porter à la bouche.


Pistes de lectures et de méditation par J.F.B. : Le poème exprime une traversée personnelle de la peur et de la reconstruction intérieure, évoquant des émotions primitives et l'immensité de l'existence. Malgré la terreur, il découvre une beauté nécessaire dans ce processus, offrant une perspective d'acceptation et de réconfort intérieur.



3. La peur née d'un rapport au temps...inapproprié, par Josepha Faber Boitel


Et si la peur était liée à la façon dont nous percevons le temps ?


Je vous propose d'aborder la peur et ses déclinaisons par le biais du temps. Chronos, kaïros et aion, trois perspectives temporelles qui offrent des prismes différents pour comprendre et interpréter le temps et ses implications dans nos vies, nos décisions et nos expériences.


3 types de temporalités

Le chronos, le kaïros et l'aion sont trois concepts temporels fascinants à explorer, nous les effleurerons dans cet article. Le chronos représente le temps quantitatif, mesurable, linéaire et séquentiel, tandis que le kaïros est plutôt qualitatif, symbolisant le temps opportun, le moment propice, la qualité de l'instant. Au-delà, l'aion exprime plutôt une idée de durée intemporelle ou éternelle, souvent associée à des cycles cosmiques ou à une dimension spirituelle.


3 effets sur notre rapport à la peur, au stress et à l'angoisse

La peur et chronos

Chronos dévore dans la mythologie et le terme chronophage prend une place de choix à côté d'énergivore dans le jargon professionnel. Le rapport au chronos, ce temps linéaire et mesurable, peut susciter de l'angoisse chez certaines personnes. L'obsession pour la gestion du temps, les horaires stricts, les deadlines, peuvent créer un sentiment de pression constante, de course contre la montre, et une peur de ne pas réussir à tout accomplir dans les délais impartis. Cette peur peut également découler de la perception du temps comme une ressource limitée et irrécupérable, créant ainsi un stress lié à la nécessité de l'optimiser en permanence.


Un possible antidote à la peur : saisir le kaïros

Certes, certains vous diront que la peur de louper une occasion existe, autant que l'angoisse de se dire qu'on aurait pu mieux faire et la saisir. Mais n'est-ce pas resté esclave du chronos que de vouloir anticiper ou relire à rebours des actes ?

Une perspective de contentement se trouve au cœur du kaïros me semble-t-il. D'ailleurs Se relier au kairos, le moment opportun ou le temps qualitatif, peut être une manière efficace de se recentrer et de dépasser l'angoisse liée au chronos. En se concentrant sur la qualité des instants plutôt que sur leur quantité, on apprend à savourer pleinement les moments présents, à être pleinement immergé dans l'instant. Cette approche permet de cultiver la pleine conscience et l'acceptation de ce qui est, sans se préoccuper outre mesure du temps qui passe. En se reconnectant avec le kairos, on adopte une perspective plus ouverte et moins contraignante sur le temps, ce qui peut aider à réduire le stress et l'anxiété associés au chronos.


Un salut en dehors de la temporalité humaine avec l'iaon ?

Dans la religion chrétienne, l'aion représente souvent une perspective théologique sur le temps, qui transcende la simple mesure chronologique ou opportuniste. Il évoque plutôt une dimension de temps éternel, liée à la présence de Dieu et à la vie après la mort. Cette conception du temps offre aux croyants une vision de l'existence qui dépasse les limites matérielles et temporelles de cette vie terrestre. En se connectant à cette notion d'aion, les citoyens d'aujourd'hui peuvent trouver un réconfort dans le fait que leur existence ne se limite pas à leur temps sur terre, mais qu'elle s'inscrit dans une perspective plus vaste et spirituelle. Cela peut les aider à affronter les défis et les angoisses de la vie quotidienne en leur offrant une vision d'espoir et de transcendance au-delà des contingences temporelles. En se reliant à cette dimension intemporelle de la foi, les individus peuvent trouver un sens plus profond à leur vie et une source de force pour surmonter les difficultés et trouver un équilibre intérieur.


Conclusion

Alors que le chronos se réfère au temps séquentiel et quantitatif, et que le kairos évoque le moment opportun et qualitatif, l'aion transcende ces notions en englobant une dimension plus vaste et profonde du temps, souvent liée à l'éternité ou à la conscience cosmique. Ainsi, alors que le chronos se mesure avec des horloges et des calendriers, et que le kairos se saisit dans l'instant présent, l'aion englobe une perspective plus large qui dépasse les limites temporelles humaines pour embrasser une réalité plus universelle. Vaincre la peur, le stress et l'angoisse paraît possible avec un effort de mise en perspective de ces trois temporalités, voire une ouverture à la dimension transcendante qui se révèle à travers elles.

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