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L'ère du temps (3/3) : le Chaos


Avant-propos et rappel du contexte


Après L'ère du temps (1/3) la Chute et L'ère du temps (2/3) : la Création, voici le troisième volet d'une approche de la conception humaine du temps et de son déroulement.


En explorant les concepts de "durée" et d'"élan vital" de Bergson, nous tentons de comprendre leur relation avec le concept de Chaos ainsi qu'avec la Création. Nous nous interrogeons aussi sur le concept d'Intelligent Design et ses limites.



Introduction et interrogations fondamentales


Le croyant se trouve devant une dualité entre l'Homme et le Divin, le limité et l'infini, le temporel et l'atemporel, le Mal et le Bien, le désordre et l'harmonie. Face à ces questionnements, l'émergence de l'Intelligent Design s'inscrit comme une tentative de fusionner la perception humaine du temps avec la volonté divine.



Temps, Création et Chaos : réflexion sur la Pensée de Bergson



Pour approfondir notre compréhension, nous nous appuierons principalement sur deux ouvrages majeurs de Bergson : "Essai sur les données immédiates de la conscience" (1889) pour sa théorie de la durée et "L'Évolution créatrice" (1907) pour son concept d'élan vital


Henri Bergson, philosophe français du début du XXe siècle, est célèbre pour ses idées novatrices sur la perception du temps et de la réalité. Dans cette réflexion, nous nous intéressons particulièrement à sa notion de "durée" et à son concept d'"élan vital". Pour lui, l'élan vital est une force créatrice inhérente à la vie, responsable de l'évolution et de la diversité de la nature.


Henri Bergson, dans sa philosophie, n'utilise pas directement le terme "chaos" de manière explicite. Cependant, certains aspects de sa pensée peuvent être interprétés en relation avec cette notion. Pour Bergson, la réalité est caractérisée par un flux continu de changement et de devenir, où le passé, le présent et le futur s'entremêlent dans ce qu'il appelle la "durée". Bergson considère la durée comme une expérience subjective et continue du temps, différente de la conception objective et fragmentée du temps.


Dans cette perspective, le "chaos" pourrait être compris comme une phase de transition ou de désordre apparent au sein de ce flux continu. Bergson voit la réalité comme un processus dynamique et évolutif où l'ordre émerge spontanément du désordre apparent. Par conséquent, ce que nous pourrions percevoir comme du chaos pourrait être une étape nécessaire dans le processus de création et de transformation.



Théories de Bergson et critique de l'Intelligent Design


Le concept d'Intelligent Design a émergé dans le contexte de la controverse sur l'enseignement de l'évolution dans les écoles américaines, mais ses racines remontent à des arguments philosophiques et téléologiques plus anciens sur la conception de l'univers. Ce mouvement contemporain a pris de l'ampleur dans les années 1980 et 1990 grâce à des publications de plusieurs auteurs, notamment Michael Behe, William Dembski et Phillip E. Johnson, qui ont cherché à remettre en question la théorie de l'évolution darwinienne en mettant en avant l'idée que la complexité biologique nécessite une explication basée sur une intelligence supérieure.


L'Intelligent Design (ID) soutient que certaines caractéristiques de l'univers et de la vie sont trop complexes pour être expliquées uniquement par des processus naturels, nécessitant plutôt une conception intelligente. Cette théorie, souvent associée à une perspective théiste, remet en question les principes de l'évolution et de la sélection naturelle de Darwin. Bien que l'ID cherche à concilier les découvertes scientifiques modernes avec les croyances religieuses, elle est critiquée pour son manque de rigueur scientifique et son caractère non falsifiable.


Or selon Bergson, la vie et l'esprit se distinguent par leur dynamisme perpétuel, leur capacité à insuffler de l'indétermination dans la matière. L'élan vital, ce flux créatif incessant, défie les conceptions déterministes et finalistes de la vie, offrant ainsi une perspective novatrice sur la Création. Même dans le tumulte apparent du chaos, cet élan vital maintient un ordre fondamental, nourrissant la diversité et la créativité de l'univers.


Ainsi, il me semble que Bergson s'oppose à l'Intelligent Design sur plusieurs points clés. Tout d'abord, il met en avant le dynamisme de la vie et de l'esprit, caractérisés par leur capacité à insuffler de l'indétermination dans la matière, contrairement à la conception préétablie de l'Intelligent Design. Ensuite, il rejette les notions de finalisme et de déterminisme mécaniste, considérant la vie comme un processus évolutif continu, tandis que l'Intelligent Design postule un dessein intentionnel derrière certains aspects de la vie. Enfin, Bergson présente la création comme un processus dynamique et évolutif, où l'ordre émerge spontanément du chaos, s'opposant ainsi à la vision de l'Intelligent Design qui suppose un créateur intelligent derrière chaque aspect de la vie.


Les théories de Bergson remettent en question l'intelligent design en soulignant une caractéristique fondamentale de la Vie et de l'Esprit : leur dynamisme perpétuel, toujours en mouvement. Cette perspective invite à considérer que le rôle de la Vie est d'introduire de l'indétermination dans la matière. En effet, comme le souligne Bergson, "le rôle de la Vie est d’insérer de l’indétermination dans la matière". Ainsi, l'intelligent design risque d'occulter cette dimension dynamique et créative de la vie.


Si l’on suit la logique bergsonienne, l’intelligent design impliquerait d’oublier une caractéristique essentielle de la Vie et de l’Esprit : leur particularité qui est justement d’être inachevés dans le sens de « toujours à l’œuvre ». Ce serait négliger que « le rôle de la Vie est d’insérer de l’indétermination dans la matière ».




Temps, Chaos et Mal... apparents à l'échelle humaine


Aborder la question du Temps revêt également une dimension réflexive chrétienne, car elle nous amène à questionner l'expérience du Mal et l'avènement du Salut, un événement que nous considérons comme certain et qui transcende notre réalité temporelle limitée.


Tout d'abord, en élargissant notre réflexion sur la nature de la volonté divine à travers le prisme de l'élan vital de Bergson, nous sommes amenés à repenser notre rôle en tant qu'êtres humains dans la création. Cette dynamique de l'élan vital nous incite à considérer la création comme un processus en constante évolution, où la volonté divine se manifeste à travers une fluidité et une adaptabilité perpétuelles.


Ensuite, notre compréhension du Mal à l'échelle humaine se trouve questionnée. En effet, la notion de "libre arbitre" n'est pas anéantie par le concept de "l'élan vital" et est même renforcée par celui de "durée" ! Ce qui place notre libre arbitre au cœur des enjeux de la Création. En explorant la complexité de la volonté divine et notre responsabilité en tant qu'acteurs dans la création, nous sommes invités à envisager notre rôle non seulement comme des êtres persistants, mais comme des participants actifs et créatifs dans l'œuvre divine. Nous discernons que l'homme joue à la fois le rôle d'acteur et de témoin dans la vaste toile de la Création


Il me semble que l'Évangile nous rappellent de transcender notre rôle de simples êtres persistants pour devenir de véritables agents de la Création. Non pour obtenir un Salut déjà effectif mais parce que un potentiel d’action nous a aussi été d'emblée attribué.


Cette pensée résonne avec les travaux de Marc Fiquet sur la "création créatrice", mettant en lumière le rôle crucial de l'homme en tant que collaborateur avec Dieu dans l'acte même de création.



Conclusion


L'élan vital de Bergson rappelle à ma mémoire les propos du poète Hölderlin : "Dieu a créé l’homme, comme la mer les continents, en se retirant". Selon moi, cette métaphore, quoiqu'étant une vision poétique, explique clairement une conception de l'acte créateur initial par retrait et par amour. Dieu ne se retire pas de son œuvre, au sens où il l'abandonnerait, il laisse plutôt délibérément de l'espace à l'homme pour s'épanouir et jouer un rôle actif dans la réalité. Cette image illustre la conception d'un Dieu qui n'est pas simplement un architecte distant, mais plutôt un partenaire créatif qui invite l'homme à participer à l'œuvre continue de la création. Cette perspective est aussi contenu dans le principe du Tsimsoum me semble-t-il.


Ainsi, notre existence n'est pas seulement le résultat d'un plan préétabli, ce n'est pas non plus une réalité où nous serions livrés à nous-mêmes et où nous chercherions l'omnipotence.


Dans cette perspective, la réflexion sur le Temps, la Création, le Chaos et l'Intelligent Design nous amène à embrasser notre rôle en tant qu'agents de changement et d'épanouissement, trouvant l'espérance et la consolation dans la confiance en la réalisation de l'Amour absolu.


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